Sauts-de-mouton et scènes d’enfer sur le Boulevard Lumumba: Les experts n’ont-ils pas floué le Chef de l’État ? Qui est responsable de l’improvisation et du retard?

J’émets des questionnements en tant que manager de grands travaux avec à mon actif une expérience de plusieurs dizaines de projets d’intérêts communs en République du Congo-Brazzaville. Pour réponse aux interrogations légitimes du Kinois ordinaire, je vais m’efforcer de m’exprimer en français facile, évitant le plus possible les termes techniques.

Concernant les travaux de sauts-de-mouton en cours dans la capitale, la population se pose légitimement des questions pour lesquelles elle ne trouve toujours pas de réponses. Dans la mesure où notre société n’a à proprement pas dans son mental collectif la culture des grands travaux publics. Pourtant celle-ci est caractéristique d’une société en mutation au regard des contraintes techniques et du caractère incontournable des lois et règlements qui l’encadrent. La mise en œuvre de grands travaux publics appelle un faisceau de sensibles et lourdes responsabilités à tous les niveaux de la hiérarchie de l’Etat. Car, il s’agit ici de la mobilisation des deniers publics pour des projets d’intérêt commun.

C’est quoi un projet de construction d’un ouvrage d’art sur une voie publique déjà en intense exploitation ? En quoi consiste l’organisation d’un chantier ouvert sur l’espace public ? Quelles sont les contraintes techniques, environnementales, sécuritaires et d’hygiène,  en matière de construction d’un ouvrage dans un espace d’utilité publique ? Des tentatives de réponses, du reste non-exhaustives, sont à explorer dans les étapes normatives que je décris dans les lignes qui suivent.  On ne saurait envisager l’exécution physique d’un projet de cette envergure qui n’ait été pensé, conçu, évalué, planifié en amont et mise en œuvre suivant une programmation managériale et technique conformément aux normes modernes en la matière. Pour être simple, un projet d’ouvrage comme celui de sauts-de-mouton est un ensemble de dossiers techniques validés, un dossier financier et administratif bouclé, dont la réalisation se subdivise en trois grandes étapes et plusieurs sous-étapes. Toutes ces étapes sont schématiquement renseignés dans un diagramme appelé planning d’exécution et sont interdépendantes les unes les autres.

Avec le progrès informatique, Microsoft dispose d’un logiciel d’élaboration de planning d’exécution des travaux appelé MS-Projet. Il a l’avantage d’intégrer dans son processus les calculs d’évaluation et de planification des ratios de ressources humaines et budgétaires, l’utilisation des matériaux et du temps d’exécution des ouvrages étape par étape. Des nombreux logiciels et programmes d’assistance informatique, comme le ROBOBAT et bien d’autres, existent et permettent aux entreprises de construction et aux maîtres d’ouvrage de rationaliser la conception et l’exécution des ouvrages complexes. Au vu des progrès techniques, on devrait encore être à l’âge de la pierre taillée pour se tromper de structures de construction et de délais de leur exécution avec un écart d’imprévu qui donne des maux de tête aux observateurs.

C’est donc cet ensemble de dossiers qui, à mon avis, est censé avoir été mis sur la table du président de la république par des experts du gouvernement avant que ce dernier n’ait décidé, en parfaite connaissance de cause, d’ordonner le démarrage des travaux. Si au moment de la décision, ce dossier était incomplet, carrant, erroné, tel qu’un seul des éléments importants de sa constitution faisait défaut, ces travaux n’auraient jamais dus démarrer, car violant les lois et règlements en vigueur. Je dois imaginer vraisemblablement que le planning d’exécution déployé, la disponibilité de financement, bref le dossier technique et financier bouclé était exhaustif sur la table du Chef de l’Etat. Autrement…

En effet, les trois grandes étapes de mise en route d’un ouvrage de grands travaux ci-dessous sont telles qu’il n’y a aucune roue à réinventer en cette matière dans tous les pays modernes. Elles procèdent de la stricte application des textes, ainsi que des normes techniques modernes en matière de travaux publics:

Il s’agit donc des étapes ci-dessous décrites : L’ETAPE CONCEPTUELLE, 2. L’EXECUTION PHYSIQUE DE L’OUVRAGE, 3. LES PERIODES DE GARANTIE LEGALE APRES LA RECEPTION DE L’OUVRAGE. Je me limite à énumérer les étapes essentielles et quelques détails, sans développer en profondeur leur portée. Question de permettre à quiconque de comprendre ce qui aurait dû se faire et tirer les conclusions de la défaillance constatée sur le terrain de l’exécution des sauts-de-mouton.

 

  1. L’ETAPE CONCEPTUELLE: Succinctement, c’est l’étape d’élaboration des données techniques de l’ouvrage par un bureau d’étude attitré, suivie de la validation des dossiers techniques par un organisme agrée (exemple Veritas). Ces dossiers sont constitués de : plans, maquettes, études de sol par un laboratoire spécialisé, du rapport sur la nature de matériaux à utiliser etc., du devis descriptif de l’ouvrage. Le maître d’ouvrage procède à l’évaluation financière du projet et recherche le financement, les étapes suivantes sont : élaboration du dossier d’appel d’offre, lequel contient le cahier des clauses techniques générales, le cahier des clauses techniques particulières (prescription technique de l’ouvrage, plans et maquettes etc…), le bordereau quantitatif de coût, le cahiers des clauses administratives générales, le cahier de clauses administratives particulières (les termes du contrat ou marché).

 

S’ensuivront la mise en concurrence des soumissionnaires, la visite de site permettant l’évaluation des contraintes par les candidats, la désignation de l’entreprise ayant gagné le marché après sélection qui obéisse rigoureusement aux critères de qualification définis dans le dossier d’appel à la concurrence et aux code des marchés publics, la signature de marché ou contrat selon le cas ; la désignation de bureau de contrôle ; l’élaboration des plans d’exécution par l’entreprise titulaire du marché ou contrat, suivie de la validation de ceux-ci par un organisme agrée (exemple Veritas) avant le lancement des travaux etc…. Dans plusieurs cas, l’étape conceptuelle peut absorber plusieurs mois, voire des années, parfois de loin plus que l’étape de l’exécution physique de l’ouvrage. L’importance de la partie conceptuelle consiste à tout prévoir et évaluer, y compris la fourchette du temps d’exécution, les contraintes environnementales et tout autre impératif lié à l’exécution de l’ouvrage. Chaque étape est un prérequis incontournable pour l’étape suivante.

 

  1. L’ETAPE D’EXECUTION PHYSIQUE DE L’OUVRAGE (SCHEMATISE DANS LE PLANNING D’EXECUTION):

 

  1. Pour l’entreprise, après signature du marché ou du contrat, les étapes se succèdent comme suit : remise au maître d’ouvrage des garanties bancaires exigées ; désignation d’un chef de projet, ou chef de travaux ; Installation chantier, dont la délimitation et construction de palissade, aménagement de bureau et magasin de chantier ; mobilisation des équipements (mobilisation des engins et matériels de chantier, bureau de chantier, mise en place de l’organigramme de chantier, affichage du planning d’exécution, recrutement du personnel d’exécution, désignation du manager HSE (Hygiène, Sécurité et environnement) et du manager Qualité. Les managers HSE et Qualité doivent être des experts dûment certifiés par un organisme agrée (exemple Veritas) ; souscription des polices d’assurances tout risque chantier et responsabilité civile décennale et autres polices d’assurances exigées par la loi ; Approvisionnement en matériaux et matériels de construction. Aménagement d’atelier extérieur et d’un atelier de chantier. Pour ce qui est de l’atelier extérieur, je me demande si certains segments des ouvrages de sauts-de-mouton ne devraient-ils pas être préfabriqués en atelier de manière à exécuter les poses en un temps très réduit d’occupation du site ??? Toutes ces étapes doivent se conformer au chronogramme fixé dans le planning, qui au demeurant est une pièce contractuelle importante. Car, le non-respect du timing imparti entraine des pénalités au passif de l’entreprise telles que prévues dans les clauses administratives générales et particulières.

 

  1. Du coté de maître d’ouvrage, mise à disposition du site, paiement des factures présentées par l’entreprise, soit celles d’avance de démarrage, soit plus tard, celles correspondants aux attachements approuvés par la mission de contrôle, désignation du fonctionnaire dirigeant, appelé aussi chef de projet ; déploiement de la mission de contrôle etc…Pour ce qui est des sauts-de-mouton sur l’artère unique menant de la partie Est de la ville au reste de la capitale, l’aménagement des voies de déviation, par l’entreprise choisie ou par un sous-traitant. C’est ici que les observateurs avisés ont relevé l’amateurisme dans l’organisation de ce chantier en pleine voirie urbaines d’intense trafic.
  1. RECEPTION DE L’OUVRAGE: Réception technique, réception provisoire, réception définitive, mise en route de la garantie décennale. Je ne vais pas plus loin dans les détails qui pourraient prendre plusieurs pages, étant donné que les préoccupations du public sont concentrées sur le retard que prend la mise en œuvre de ces ouvrages attendus par la population kinoise. Cependant, il sied de souligner que toute réception de l’ouvrage (provisoire et définitive) est obligatoirement précédée d’une réception technique. Elle consiste par le maître d’ouvrage, la mission de contrôle et l’entreprise de constater contradictoirement que l’ouvrage peut être mis en service après des séances d’essais d’usage, quitte à corriger des défauts mineurs. C’est le rapport de la réception technique qui permet administrativement aux parties de procéder à la réception provisoire, après corrections des réserves émises par le maître d’ouvrage. La réception définitive n’interviendra qu’après consommation de la période de garantie définie dans le dossier d’appel d’offre.

DES QUESTIONS ALORS, RIEN QUE DES QUESTIONS :

  1. Au moment d’ordonner les travaux de sauts-de-mouton à Kinshasa, quels dossiers ont été soumis sur la table du président de la république ? Raisonnablement, le planning d’exécution physique des travaux, ainsi que le plan de trésorerie présenté par le gouvernement ont décidé le président de la république de s’y engager valablement.
  1. Cependant, je n’ai vu nulle part, sauf erreur de ma part, les panneaux de chantier qui donnent des indications sur les identités des intervenants lié à l’exécution de ces travaux. Plus particulièrement le bureau d’études qui a conçu ces ouvrages et la mission de contrôle désignée pour le suivi de travaux. Alors que des travaux publics de cette envergure ne peuvent s’exécuter sans ces intervenants incontournables, tant du point de vue technique que conformément au code des marchés publics.
  1. Les travaux proprement-dit de ces ouvrages sur site n’auraient jamais dépassé trois mois d’exécution, dès lors que tout le schéma de contraintes techniques, financières et administratives décrit ci-dessus aurait été scrupuleusement observé en amont et certaines parties de l’ouvrage préfabriquées en atelier.
  1. Que ce qui s’est passé alors ? Qui est responsable de l’improvisation, du retard et de la mauvaise organisation de ces chantiers, sachant que tout retard entraine des pénalités contractuelles ? Nous sommes en face des engagements d’Etat, lesquels imposent la responsabilité à tous les niveaux. S’il se trouve que personne ne réponde de rien, alors nous sommes en plein dans une république bananière.
  1. Pourtant, des grands projets sont annoncés. Inga III, le port de Banana, les chemins de fers, les routes, des complexes industriels etc. Si nous n’avons pas la culture des grands travaux pour des ouvrages de moyenne envergure, comment allons-nous nous y prendre pour les projets pharaoniques à venir ???

 

Daniel MAKILA, Manager de Sociétés de Droit OHADA

 

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