Lumumba, Mpolo et Okito : le dernier voyage

Depuis 1885, la RDC a toujours été au cœur des enjeux mondiaux. Caoutchouc, uranium, huile de palme, les richesses du Congo ont été transformées en malédictions. Et beaucoup de ses dignes fils avaient une longueur d’avance sur ces enjeux, à l’instar de Patrice Emery Lumumba, assassiné avec ses compagnons d’infortune là où la vérité a refusé d’être engloutie sous les décombres de l’histoire, à Shila Tembo, un hameau à 60 Km de Lubumbashi.

Une page sombre de l’histoire de la RDC, mal refermée avec l’assassinat de Patrice Emery Lumumba est remise à jour par des Congolais invités par le héros national à réécrire l’histoire de leur pays. Enfouie dans le grossier montage des services secrets occidentaux, la vérité sur cet odieux l’assassinat a remonté, depuis, à la surface. Lumumba et ses compagnons Okito et Mpolo ne s’étaient pas évadés de prison et n’avaient jamais été abattus par des paysans. Bien au contraire, des villageois ont, de ses yeux vus, vu les héros croulés sous les balles de leur tortionnaire et ont pris leur courage à deux mains pour dénoncer, au péril de leur vie, cette atrocité. Tshondo Ngoy, fils d’Elias Ngoy, lui-même fils de Kapiteni et petit neveu de Mufwatshi, a conduit les touristes au lieu du crime, là où la vérité a refusé d’être engloutie dans les décombres de l’histoire, à Shila Ntembo II, une bourgade perdue dans la savane, à 60 Km de Lubumbashi.

Kapiteni, cultivateur et intrépide chasseur à ses temps perdus, accompagné de Mufwatshi, son beau-frère, revient bredouille de la chasse. Chose rare pour être soulignée. Le destin qui voudrait que leur gibecière soit à chaque fois remplie le prépare, cette fois, pour un scénario du drame national, lequel se joue sous leurs yeux. Alors que la nuit était fort avancée, ils interceptent des vrombissements de moteurs et perçoivent des phares qui fendent les broussailles dans les ténèbres du mensonge. Trois véhicules s’arrêtent. En bons chasseurs, qui savent se confondre avec la nature, ils tapissent dans l’ombre. De leur retraite, ils observent une lugubre scène. Deux ou trois militaires sautent d’un véhicule et traînent sans ménagement trois hommes pieds et poings liés, qu’ils attachent à un arbre. Des ‘‘Blancs’’, auteurs intellectuels, se tiennent à distance, et dans l’obscurité de la nuit, ils crient leurs ordres aux exécuteurs. Et pan ! Ils tirent sur un de leurs prisonniers qui tombe, puis, pan ! Sur le deuxième. Quant au troisième – Kapiteni croit reconnaître la silhouette dans la pénombre –, pan ! pan ! long feu ! ils doivent se résoudre à tirer plus de trois coups. Qu’à cela ne tienne, le mal est fait. Un Blanc, assurément le chef de bande, mijote quelque chose sur sa dernière proie. S’étant assurés qu’ils étaient à l’abri des regards intrus, ils jettent les corps dans une fosse creusée à la va-vite une dizaine de mètres de l’arbre du supplice, l’arbre qui porte témoignage. A l’instar de tout lâche, ils maquillent dans la précipitation le lieu du crime et démarrent en trombe. Kapiteni, l’aïeul de Tshondo, le père d’Elias Ngoy, et Mufwatshi sortent aussitôt de leur retraite et se précipitent sur la fosse commune où un pied d’homme reste bien visible.

En cette période trouble de l’histoire du Congo ‘‘just independent’’, où le Katanga est plongé dans la sécession, la découverte des cadavres dans le périmètre de son village est source de sérieux ennuis. Aussitôt arrivé dans sa case, Kapiteni annonce qu’il montait à Elisabethville illico presto, nuit noire ou pas, la lumière de la vérité avait tracé sa courageuse et périlleuse mission. Informer les autorités pour être hors de cause. Il ramasse son arme et enfourche sa gibecière chargée de ‘‘vérité’’. Ses confidents, les prêtres, lui font cependant attendre. Un jour, deux et… le troisième jour, alors qu’il manifestait des signes d’énervement, son vœu est exhaussé… Ils ne découvriront plus malheureusement qu’un ‘‘tombeau vide’’. Les assassins sont revenus sur le lieu du crime, informés qu’ils étaient, que leur forfait était publiquement livré en spectacle. Les salauds ont fait la sale besogne. Les corps ont été enlevés. Pour dissoudre la vérité, il fallait dissoudre les preuves. Ils découpèrent les corps qu’ils amèneront à Shituru, non loin de Likasi, afin de les diluer dans de l’acide et faire disparaître à jamais toute trace d’un Lumumba qui dérangeait leur entreprise criminelle : balkaniser la RDC et s’emparer de ses richesses minières.

Un mémorial est construit ici, au pied de l’arbre qui porte témoignage. Jean-Claude Kazembe Musonda, alors Gouverneur du Katanga, a eu la brillante idée de réécrire à sa manière cette page mal tournée de l’histoire du Congo, et ramener sur le site, un des instruments de sa falsification : l’avion qui a amené Lumumba et ses amis d’infortune à la mort. Leur dernier voyage.

A l’entrée du site encore en construction trônent deux bustes de P.E. Lumumba et de L.D. Kabila, deux martyrs du Congo, des monuments et deux sépulcres des héros. L’accès au site est facile, à quelque 300 mètres de la Route Nationale N°1, à une heure de Lubumbashi. Le Gouverneur Jacques Kyabula Katwe, qui a participé au projet comme membre de cabinet du Gouverneur Kazembe mettra tout en œuvre pour le parachever. Ce ne serait que justice pour espérer tourner véritablement la page tragique de notre histoire. Un site touristique rempli d’émotion à visiter absolument.

Emmanuel Makila

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